La tradition du levage du liège, après s’être assoupie durant quelques décennies, était redevenue récemment vivace aux Adrets, comme dans le reste de l’Estérel. Aujourd’hui menacés par le platypus cylindrus (un coléoptère) et autres insectes, les chênes sont à nouveau mis au repos.
Le levage du liège dans l’Estérel : autrefois
C’est sous la plume de Christiane Juilliard, Conseillère Municipale, que revivent les anciens leveurs, “ces hommes vigoureux, habiles, et dont rien n’altérait la bonne humeur”…(Journau deï Adrechans n° 5).
Au début du siècle, une équipe de leveurs des Adrets effectuait le levage du liège dans la forêt domaniale de l’Estérel. Durant les deux mois de l’été, leur vie se déroulait selon un cycle très particulier.
Du lundi au samedi, ils vivaient dans les bois. Le camion des Eaux et Forêts les emportait le lundi avec le ravitaillement collectif de la semaine, préparé par le chef d’équipe : un tonneau de vin de 50 à 60 litres, un sac de pain, un petit salé entier, parfois une morue. En outre, chacun apportait ses provisions personnelles : de la charcuterie, des légumes, des fruits, du chocolat…
Le premier jour était consacré à l’organisation du campement : préparation du site, ramassage d’herbe et de bois, recherche d’un emplacement abrité pour la nourriture et d’un autre pour y dormir.
La tradition étant de n’apporter aucun récipient de la maison, ils se mettaient ensuite en quête des chênes-lièges qui allaient leur fournir le “coco” et la “couasse”, c’est-à-dire, le gobelet et l’assiette, qu’ils tiraient des bosses naturelles de ces arbres. Chacun s’appliquait à confectionner ces objets, les plus minutieux les fignolant en leur ajoutant un bec verseur.
Les journées de travail s’écoulaient ensuite au même rythme. A l’aube, après un bon café, ils partaient “faire une battue” afin de recenser les arbres à lever. En chemin, ils déposaient leurs musettes près d’une source où d’un ruisseau. L’heure venue, ils revenaient là pour déjeuner et faire une sieste.
Vers 17 heures, ils rentraient au campement, où les attendait le plus âgé d’entre eux, parti à l’avance allumer le feu et mettre l’eau de la soupe à bouillir.
La préparation de ce potage était l’évènement de la journée. Chacun triait les légumes et apportait sa part de petit salé. Le premier soir, la soupe prenait une couleur violacée, due à la présence de sève dans les couasses fraîches, ce qui n’altérait en rien son goût.
Et tandis que la soupe cuisait sous la surveillance de l’aîné, le reste de l’équipe allait se laver au ruisseau. Ensuite, tous se rassemblaient pour déguster ce mets extraordinaire, qui reste gravé dans la mémoire des leveurs de liège.
Après le repas, on discutait et on jouait aux boules en attendant la nuit. Puis venait l’heure d’un repos bien mérité. Tous dormaient à la belle étoile, sur des feuilles séchées ou des sacs bourrés de fougères, parfois sur des hamacs dont quelques plaisantins s’amusaient parfois à couper les cordes.
Le lendemain, on repartait pour une nouvelle journée.
Le levage du liège dans l’Estérel aujoud’hui : une technique inchangée
Le chêne-liège commence à produire vers l’âge de vingt ans.
La première écorce ou liège-mâle, “lou suve mascle”ne vaut rien pour la confection des bouchons. “Lou demasclaire” est chargé de procéder au “démasclage”, opération au cours de laquelle on la retire.
Il ne reste alors que l’aubier du chêne, la mère du liège ou”la maire dou suve” sur laquelle poussera le liège femelle, la rusque ou “la rusco” qu’on lèvera à son tour dix ans plus tard.
C’est elle qui est utilisée dans la fabrication des bouchons. Cette rusque est enlevée par le leveur ou “levaire” (ou “rusquié) au moment où la montée de la sève permet de séparer facilement le liège de l’aubier, c’est-à-dire entre le 15 juin et le 15 août.
L’outillage du leveur est assez rudimentaire : une hachette, “lou picoussin” et une corde de 5 m de long qu’il enroule autour de sa ceinture.
Cette hachette sert à la levée proprement dite : à coups nets et précis, pour ne pas abîmer la mère, on ouvre l’écorce longitudinalement, après avoir pratiqué une coupe en couronne qui délimite la portion de liège à lever dans la hauteur du tronc.
Lorsque la hauteur le requiert, on confectionne une “étagère”. On utilise alors la corde qui permet de fixer à l’arbre, par un savant enroulage, une tige de bois dur qui tiendra lieu de marchepied.
A mesure que le levage avance, l’ouvrier charrieur, “lou camalo”, muni de deux cordes de trois mètres, transporte sous forme de fagots les plaques de liège qui tombent. Il protège ses épaules d’un sac bourré d’herbes, dont un pan rabattu sur son front maintient le coussin ainsi formé. Ces fagots de 60 à 70 kg sont rassemblés au bord des chemins pour être chargés sur des charrettes ou des camions qui les déposent aux alentours des maisons forestières.
A la fin de la saison, “lou desmeiraire”, au moyen d’une raclette adaptée, fait sauter l’écorce dure qui recouvre le dos ou “l’esquino” des planches de liège. “On fait la pile” puis on les livre au commerce. Le dur labeur est terminé, pour une saison.