Au temps où il constituait un combustible recherché comme son cousin l’anthracite, le charbon de bois était obtenu au terme d’un dur et minutieux travail que le charbonnier effectuait en pleine forêt : la carbonisation du bois en charbonnières, ou meules. C’est ce que nous raconte Christiane Juilliard, Conseillère Municipale, dans le Journau deï Adrechans n° 7 de juillet 1986.
1 – L’édification de la charbonnière
Le charbonnier choisit un terrain plat, suffisamment dégagé, si possible près d’un point d’eau. Les risques d’incendie étant de tous temps une préoccupation, il emporte de toutes façons une réserve d’eau d’environ 300 litres.
Là est amené le bois nécessaire à l’édification et à l’alimentation de la charbonnière. On le coupe dans le taillis et on le transporte à dos d’homme, à l’aide d’un “ase” (âne), c’est-à-dire d’un tronc ou d’une maîtresse branche en forme de fourche dans le col de laquelle on a fixé une planche où l’on empile les branches.Puis commence la construction de la charbonnière.
A – Le marquage au sol
Le charbonnier retient un point comme centre de sa charbonnière ; il y plante, à moitié de sa hauteur, un piquet de bois : la “caviho” (la cheville). Il délimite ensuite la circonférence de sa meule. Il en nivelle la surface à la pioche, pour favoriser la combustion et aménageait des rigoles destinées à l’écoulement des eaux pluviales. Ensuite il étend sur la “faudo” (l’aire) de la terre bien tamisée, destinée à absorber l’humidité résultant de la combustion.
B – La construction de la cheminée
Deux techniques étaient pratiquées :
- soit il dispose des branches de bois vert en carré, après les avoir entaillées d’une encoche pour assurer leur stabilité, puis il superpose ces carrés en colonne pour constituer le conduit de sa cheminée.
- soit il dresse un tronc qui lui sert de gabarit, autour duquel il ajuste les petits bois, puis il retire le tronc.
C – L’édification de la meule
Le charbonnier échafaude le bois à carboniser en deux dômes superposés qu’il recouvre finalement de “rémanents” : débris de feuilles, aiguilles de pins, humus, puis d’une couche de terre fine bien tassée. Lorsqu’il reste au même endroit, il utilise la même terre, qu’il retire avec soin, pour ses charbonnières successives.
2- La carbonisation du bois
A – La mise à feu
Le charbonnier verse dans la cheminée une grande quantité de charbon de bois enflammé. Il utilise une “gamate” fixée à un bâton. Il nourrit ensuite le brasier de “rataillons” pour l’entretenir, jusqu’à ce qu’il atteigne le sommet de la meule (après 24 à 48 h d’embrasement pour une petite charbonnière).
B – La cuisson
Il faut alors étouffer le feu : la cheminée est fermée par un couvercle, puis recouverte de branchages et de terre. Le charbonnier pratique alors une série de trous, les “évents”, sur toute la circonférence de la meule, à son sommet et à sa base, pour faciliter un bon tirage. Il surveille attentivement la couleur de la fumée : si elle est bleue, la carbonisation est bonne ; si elle reste blanche, il lui faut rafraîchir les évents. La cuisson doit s’effectuer très lentement, progressivement et régulièrement. Le feu est redescendu au pied de la meule qui a perdu un cinquième de sa hauteur : la cuisson est terminée.
C – Le temps de repos
La meule repose durant trois ou quatre jours pendant lesquels elle est surveillée constamment pour éviter toute reprise du feu. Le charbonnier met ce temps à profit pour retirer les résidus des “rémanents” avec un râteau. La terre fine de la couverture s’infiltre dans la charbonnière, épure et refroidit le charbon.
D – Le décharbonnage
C’est la phase finale, et le travail le plus pénible. Il récupère le charbon par petites quantités, à l’aide d’un “béchard” (“bécu” à deux dents), et l’étale au fur et à mesure sur le sol, puis le recouvre de terre pour éviter qu’il se consume. Enfin il le trie. Après quelques jours de latence, le charbon est pesé, mis en sacs de jute de 25 à 30 kg à l’aide d’une fourche. Le charbonnier porte alors ces sacs au bord de la route où la charrette du grossiste viendra les chercher. Avec le progrès, des fours métalliques ont remplacé les meules, surtout durant la dernière guerre où le charbon obtenu était utilisé comme comburant par les véhicules gazogènes.
Aujourd’hui, la carbonisation en forêt a totalement disparu, mais peut-être, au hasard de vos promenades dans l’Estérel, découvrirez-vous encore un four délaissé, témoin de cette activité passée.
Ce document a été réalisé grâce au concours de MM.Robert Bermond, Georges Cappa, Louis Graille, Willy Ryser. Documents iconographiques : Autrefois le forestier – Filière du bois du Val de Saône.